La création de la Réserve Naturelle de la Baie de Canche est issue des réflexions initiées au début des années 80 par le ministère de l’environnement afin de mettre en œuvre les bases nationales des nouvelles politiques européennes. En effet, en 1979, la Communauté Economique Européenne édicte la directive Oiseaux en vue de développer un système de protection des oiseaux migrateurs cohérent à l’échelle européenne. C’est ainsi qu’au niveau de la façade Nord-Pas de Calais, des initiatives ont été lancées en vue d’appliquer ce principe de protection de l’avifaune migratrice. Sur la base de diagnostics et de propositions issus du monde associatif et des scientifiques reconnus (en particulier les propositions en vue de création de réserves naturelles par J M Gehu ) la stratégie s’est portée sur la création de haltes migratoires pouvant assurer le gîte et le couvert pour l’avifaune. Afin de faire émerger des projets sur la base d’une réalité foncière permettant un relatif consensus, les propositions de création de 2 réserves naturelles ont été défendues tant par la DRAE de l’époque que par le Conservatoire du littoral, acteur foncier essentiel en terme de protection définitive de terrains voués à la biodiversité. C’est ainsi que les dossiers de création de ces 2 réserves furent présentés tant au niveau national (aspect règlement) qu’au niveau européen (financement) en vue de créer et d’aménager des sites répondant aux objectifs de l’EUROPE.
Le projet de réserve de la baie de Canche comprenait donc la propriété du Conservatoire du littoral et une partie de D.P.M constituée en prés salés, vasières et bancs sableux. Ce projet fut critiqué par le monde de la chasse car le secteur des prés salés touchait 9 huttes de chasse autorisées par l’Etat. Il faut savoir que la main mise de la chasse sur le DPM est réelle et totale puisque selon les « traditions » le D.P.M est chassable, sauf exception. Ce n’est qu’avec la création du ministère de l’environnement que les premières réserves de chasse sur le D.P.M furent crées sur des lieux malheureusement peu propices au stationnement régulier de l’avifaune migratrice. Les propositions de Réserves Naturelles en vue de l’application de la directive oiseaux furent donc les premières réelles confrontations entre naturalistes et chasseurs sur le partage de territoires car la mise en œuvre de la réserve de la Baie de Canche obligeait à l’abandon de 9 huttes. Refus total et lobbying actif en vue de faire disparaître le projet de réserve ou du moins sa partie sur le D.P.M. Ainsi le décret mit beaucoup de temps à sortir. Il le fut en 87 lors du changement de majorité. Signé, mais non publié, il fut officiellement publié en juillet 87 avec une amputation de la réserve sur plus de la moitié de sa partie D.P.M et la sortie du périmètre validé de 5 huttes sur 9. Mais cela ne suffit pas au monde de la chasse qui refusa l’application de cette décision d’Etat. Ainsi les chasseurs refusèrent de quitter les 40 ha de D.P.M restants bien qu’ils soient situés sur une entrée publique de la réserve : la « Plage des Pauvres ». Il faut à tout randonneur pour atteindre ce secteur supporter le tir de chasseurs postés pour la passée ! C’est donc un refus total d’un projet reconnu d’importance européenne par le monde de la chasse. L’Etat n’a pas été en reste puisqu’il accepte le braconnage sur ses terrains publics depuis 25 ans sans sanctionner. Il va même au-delà en renégociant avec les braconniers tous les 9 ans pour le renouvellement des baux de chasse auprès de l’association délictuelle.
Dans les années 90, le ministère de l’Environnement chercha l’apaisement sur ce dossier en renonçant à un des objectifs de sa réserve : trouver des lieux de gagnage et de pause pour les oiseaux migrateurs. Il y eut donc en 1997 la venue d’un inspecteur général du G.R.E.F en vue de renouer le dialogue et trouver un modus vivendi : ce fut la proposition de retirer de nouveau 20 ha de DPM de la réserve (celles de la Plage des Pauvres faisant actuellement débat), de mettre l’ensemble des prés salés de la rive nord de la Canche en A.P0.B et de dédier la gestion de la réserve à une association. D’où l’accord avec le mouvement associatif local qui semble, à l’époque, avoir été trouvé.
Sur la base de l’application de ces propositions, la réserve naturelle se devait de changer de périmètre.
Depuis1997, les principes de l’accord de 1997 n’ont quasiment pas été mis en œuvre. La gestion de la réserve a été confiée à EDEN 62, l’A.P.B n’a été instauré que sur la seule partie du D.P.M devant être déclassé et 2 huttes de chasse ont été déplacées avec le financement de l’Etat (alors que la gestion des lots de chasse sur le DPM impose aux associations de chasse maritime de déplacer, de créer ou curer les mares à leurs frais!). Depuis 15 ans le statut-quo était appliqué au niveau du fonctionnement de la réserve. Mais voilà il fallait avancer sur la re-délimitation de la réserve naturelle. Dans le même temps le gestionnaire, afin de faire appliquer la règlementation, en particulier l’interdiction d’y chasser, se devait de délimiter le périmètre. C’est une base minimale à faire appliquer pour une réserve créée en vue d’appliquer la directive oiseaux classée en Z.P.S depuis 1991 et en Z.S.C depuis le milieu des années 2000!
Finalement en 2012, le C.N.P.N s’est repenché sur le dossier de la réserve naturelle de Baie de Canche en intégrant les éléments nouveaux portés à sa connaissance : création d’un A.P.B, diagnostics complémentaires témoignant de la haute valeur écologique des secteurs qui pourraient être déclassés et dorénavant inscrits en Z.S.C. Il en a conclu au maintien du périmètre initial en proposant une gestion administrative par l’Etat du transfert des huttes dans le cadre du renouvellement des baux de chasse sur le DPM.
Aurons-nous aujourd’hui un Etat soucieux de faire respecter ses engagements ? Rien n’est moins sûr.
C’est donc un combat sans relâche qu’il faudra continuer de mener pour sauvegarder l’oiseau libre !
Cette situation n’est pas sans rappeler celle de Oye plage, il y a quelques années.
La LPO ne peut rester insensible à ce problème.
Aussi a-t-elle adressé un courrier au préfet, aux députés et aux sénateurs du Pas-de-Calais afin de les alerter , en espérant que dans un souci de préservation de la nature et de la faune, ils réagiront rapidement et sauront trouver une solution satisfaisante pour tous les partenaires de ce site.
DRAE : direction régionale à l’architecture et à l’environnement, ancêtre de la DIREN et de l’actuelle DREAL
LIFE : programme européen de financement de projets dédiés à la biodiversité
DPM : Domaine Public Maritime. Ici l’estran, les prés salés
CNPN : Conseil national de protection de la nature
GREF : Génie Rural et des Eaux et Forêts
APB : Arrêté préfectoral de Protection de Biotope
ZPS : Zone de Protection Spéciale, zone prioritaire retenue par l’Europe pour l’application de la directive Oiseaux
ZSC : Zone Spéciale de Conservation, zone prioritaire retenue par l’Europe pour l’application de la directive Habitats.