Au petit jour, dans le marais audomarois, des bénévoles éclairés traquent le phragmite aquatique
Dans le cadre du plan national d’actions dédié au phragmite aquatique, le passereau le plus menacé d’Europe, Albert Millot, technicien marais au parc naturel régional, surveille, pendant vingt jours en août, l’activité de l’oiseau dans une roselière du marais audomarois.
Des bénévoles l’accompagnent. En début de semaine dernière, Claude Dubois, président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), était à ses côtés. Départ 4 h 45. On les a suivis.
Il fait encore noir, on s’enfonce dans le marais. En voiture, puis à pied, équipés de torches frontales, on rejoint un coin reculé où peut-être, on observera le phragmite aquatique. Le passereau le plus menacé d’Europe, sa population mondiale est estimée à moins de vingt mille mâles chanteurs, migre, à cette période de l’année, vers le Sud du Sahara. Il longe les côtes, coupe parfois. « Les zones humides représentent un enjeu important de conservation de cette espèce », détaille Albert Millot, technicien marais au Parc Naturel Régional des Caps et marais d’Opale. Dans le Romelaëre, on bague souvent l’oiseau. Hors de la réserve naturelle, Albert Millot a attrapé un phragmite, l’année dernière. Un autre depuis le début du suivi, au commencement du mois. Il prospecte, pour mieux connaître l’oiseau. Savoir ce dont il a besoin pour vivre.
« Les oiseaux sont plus actifs au lever du jour »
Dans la nuit noire, on déploie les deux cents mètres de filet, qui permettent au bagueur de capturer les oiseaux le temps de les marquer. On branche les repasses, ces haut-parleurs qui retransmettent le chant du phragmite aquatique, pour attirer ses semblables. On attend que le jour pointe, un peu. « Les oiseaux sont plus actifs au lever du jour, explique Albert Millot. Ils se déplacent. Et les filets sont moins voyants au crépuscule. »
Lors de la première relève, une grosse dizaine s’est pris les ailes dans les filets. « C’est calme », note Albert Millot. Au petit matin, le marais est enveloppé de brume. Claude Dubois, le président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et Albert Millot libèrent les volatiles. Délicatement. « Il faut faire attention aux pattes, souffle Claude Dubois. C’est fragile. » Un à un, ils sont plongés dans des pochons, pour les soustraire à la lumière et « limiter le stress » jusqu’au moment du baguage.
Au camp de baguage, Albert Millot extrait les oiseaux, un à un, pendant que les autres gigotent dans les pochons rouges, derrière. « Le plus important, quand on bague, c’est la sécurité de l’oiseau, dit-il. Ce n’est pas un geste anodin. L’objectif, c’est qu’il reparte en bonne santé, on y est très attentif. On le manipule le moins possible, on le relâche très vite. Et après, c’est la qualité de l’information qui compte. » Taille des ailes, poids – autour d’une dizaine de grammes –, engraissement, après la bague « pas plus lourde qu’une montre » apposée à une patte, le bagueur note tout. Gorgebleue à miroir, un oiseau emblématique du marais, bruant des roseaux, rousserolles, passent entre ses doigts, avant d’être relâchés.
« L’objectif , c’est de prospecter »
Toutes les demi-heures, les ornithologues relèvent les filets. Ils les longent, aller et retour, lèvent les yeux au ciel, pour admirer un héron pourpré, assez rare pour être noté, les tournent vers le sol pour apercevoir un criquet ensanglanté, typique du marais. D’un pochoir, Albert Millot sort un phragmite des joncs, le cousin du phragmite aquatique. Du second, on ne verra pas le plumage. Le lieu où on se trouve est supposé être idéal pour eux, mais ce n’est justement qu’une supposition, à affiner. « Le phragmite aquatique est spécifique des zones humides. L’objectif, c’est de prospecter. On en a vu un en une semaine, au début j’étais optimiste, je le suis un peu moins maintenant », confie Albert Millot.
Ce matin-là, une trentaine d’oiseaux seront bagués. Si le phragmite aquatique est resté invisible, l’expérience témoigne que l’endroit choisi n’a beau pas être classé, il recèle des espèces, en faune ou flore, qui sont la richesse du marais. Fauvette des jardins, d’autres cousins du phragmite, échouent dans les filets, jusqu’au milieu de la journée. Heure à laquelle les ornithologues les démontent, pour éviter qu’un oiseau ne se prenne dedans.
Les statistiques relevés serviront à alimenter le plan national d’actions dédié au phragmite, de mieux connaître l’oiseau, comment il vit, comment il migre. Et de parfaire la connaissance de ses congénères. L’observation dure jusqu’au 25 août, débute à chaque fois au petit matin. Pour saisir le marais lorsqu’il s’éveille.
Jennifer-Laure Djian (La Voix du Nord)
{loadposition phragmite-aquatique}